N° 14 – Extraits de « 1915 Le génocide des Arméniens » Comité de soutien des prisonniers politiques arméniens. (document web)

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Témoignage du correspondant du « Matin » (4 juillet 1909)

Les vêpres Arméniennes Dort-Yoel 27 mai (lettre portée à cheval à Adana et transmise le 2 juin)

Comme la flammer qui, dans la fôret gagne de proche en proche les arbres, ainsi la nouvelle de massacre, criée à pleine gorge dans les rues d'Adana, retentit au loin, passant en tempête sur tous les petits villages perdus au fond des vallées du Taurus, parcorant une province en un seul jour, mettant des armes dans les mains, allumant de haines dans les yeux de tout un peuple contre un autre peuple.

Trente mille personnes, en dix mile maisons de soixante-dix villages et trois villes ont été fauchées ainsi par par ce vent d'orage qui ravagea une province entière, l'une des plus riches d'Asie, et dont l'action féconde donnait à la Turquie tant de richesse et de vie. Ils ont tout brûlé dans leur rage aveugle, ils ont out tué dans leur folie de carnage, incendiant les champs de blé, massacrant les bêtes de labour, brisant les machines agricoles, jetant à l'eau les semences. De toute cette admirable terre ils en ont fait un cimetière immense. Leur haine ne s'est calmée que lorsque le désert fut complet, que la ruine fut totale.

Chiens dévorant les cadavres.

A travers cette destruction, je marche depuis quatre jours à cheval, escorté par trois soldats syriens, pour voir de mes yeux jusqu'où a pu atteindre la rage déroce des hommes. Je suis parti d'Adana il y a quatre jours dans l'après-midi par un soleil torride. Les cadavres arméniens que le fleuve n'a pas emportés à la mer et qui gisent encore sous les ruines de leurs belles maisons de Topoegalessi exhalent des senteurs grasses, fades, écoeurantes. J'en vis trois à découvert à coté du ponton ensablé dans le fleuve près du pont : trois qu'on avait oubliés là peut-être la besogne finie et autour desquels des chiens grouillaient comme de la vermine. Ce n'étaient que d'informes lambeaux que les animaux se disputaient. Parfois un chien fuyait avec un morceau de chair blanchâtre et putride pour suivi par trois ou quatre autres, puis son repas fini, il revenait à la curée. L'odeur tout à l'entour était insupportable.

Voici Missis… il y avait là douze maisons arméniennes et cinq ou six bâtisses turques. Ces dernières seules subsistent groupées au pied d'un minaret près du pont. Le reste n'est que décombres : pans de murs noircis par la flamme, squelettes lamentables qui s'étaient calcinés sous le soleil. On comptait à Massis deux cents arméniens, hommes femmes et enfants : il en reste trois piteux, affamés, décharnés, en loques, qui se trainent en geignant aux genoux des passants, qui courent pendant des journées entières derrière les caravanes de chameaux en implorant une aumône.

Ils vous content leur histoire d'une voix absente, lointaine : leurs fils massacrés, leurs filles violées, emportées, vendues comme esclaves à Césarée, à Marach, leurs femmes éventrées, jetées au fleuve les entrailles pendantes, leurs biens dispersés aux quatre vents. Ils vous narrent les atrocités : enfants écorchés vifs, coeurs et foies humains vendus comme viande, hommes accoplés par un pied à un bâton et traînés par les chevaux à travers les rues. Ils gitent dans les blés, en pleins champs, les pitoyables survivants du carnage. Et c'étaient des gens très riches…